Attiré par tout ce qu’il y a de meilleur dans la vie (fils de musicien, il est lui-même à ses heures, saxophoniste), Alain Passard a finalement opté pour une cuisine savamment rythmée, peut-être parce que dit-il : « Je suis né dans un village gourmand ».
Après La Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine) en 1956, on le suit sur la piste des étoiles. A 14 ans, il oeuvre sous la direction de Michel Kerever à L’Hotellerie du Lion d’Or (Liffré), de Gaston Boyer à Reims en 1976/77 (La Chaumière), Entre 1980 et 1984, on le trouve au Duc d’Enghien, En 1986, il achète le restaurant d’ Alain Senderens, L’Archestrate, et le rebaptise L’Arpège. Sur cette trajectoire il a décroché trois étoiles et reçu 19/20 au Gault et Millau.
La date qui nous importe aujourd’hui c’est 2001 :
L’année où il décide de mettre le légume au piano. On ignore quel tempo mystérieux relie les hommes, les concepts, les mots. Mais c’est un fait : en cuisine la mandoline sert à tailler les légumes en tranches plus ou moins épaisses.
Plus difficile d’être cuisinier que rôtisseur selon Brillat-Savarin… Encore plus difficile de faire du légume le centre du plat : il faut qu’il soit d’une qualité irréprochable. Sans doute est-ce pour cela qu’Alain Passard a voulu faire cultiver ses légumes le plus naturellement possible.
Trois jardins et douze jardiniers sur trois départements : une véritable empreinte du terroir.
Plus deux ânes, deux juments, des vaches, des poules, une chèvre…
Quarante tonnes à l’année, une production 100% naturelle et un restaurant parisien autonome pour ses légumes aromates et petits fruits rouges et noirs.
2002: premier potager à Fillé sur Sarthe, domaine du Gros-Chesnay, près du Mans, un sol sableux particulièrement favorable aux carottes, asperges petits pois poireaux…
Le Bois Giroult labellisé AB, acquis dans l’Eure en 2005, produit la plus grande partie de fruits rouges ( le sol argileux convenant par ailleurs aux rutabaga, pomme de terre, céleri rave et chou.)
Le petit dernier, né pour L’Arpège en 2008, appellation des Porteaux, face à la baie du Mont Saint- Michel bénéficie d’un sol riche en alluvions, propice aux herbes aromatiques.
Partout le même souci de l’environnement et des écosystèmes : des haies bocagères d’essences locales pour abriter du vent, des traitements à base de macérations de plantes, des auxiliaires indigènes : insectes batraciens oiseaux, les perce oreilles nichant dans leurs pots en terre entre deux festins de pucerons. Et, très emblématique, puisqu’ Alain Passard se verrait bien dans sa peau lors d’une vie future, le cheval, qui tracte une charrue attentionnée pour le sol.
Un répertoire qui pourrait sembler classique, des recettes inspirées par les quatre saisons :
Printemps : Mesclun, Petits pois, Pois gourmands, Asperges, Radis, Ail nouveau, Pomme de terre primeurs, Carottes nouvelles, Aromatiques, Fruits rouges, Fleurs, Alliaire, Ortie, Epinards, Echalotes nouvelles, Oignons nouveaux
Eté : tomates et tomates cerises courgettes aubergines concombre melon fruits rouges haricots ail oignons doux poivron basilic
Automne : Pâtissons épinards potimarrons céleris raves endives mâche salsifis rutabaga chou-fleur chou vert navet
Hiver : radis et navet d’hiver panais topinambour salade carottes poireaux chou de Bruxelles.
Pour un esprit curieux comme celui d’Alain Passard, le tout légume n’est sans doute pas une vocation définitive ; cependant il lui prédit un avenir brillant : « « Aujourd’hui, sur un cumul de 6 hectares, avec une brigade de douze jardiniers, nous parlons de la carotte ou de la betterave comme on parle du Chardonnay ou du Cabernet Franc et nous cultivons ce désir de faire du légume un Grand Cru ! »
Même si sa créativité l’incite un jour à varier ses orientations en cuisine, gageons que le jardin qu’il voit dit-il dans le fond de ses casseroles, restera une vraie passion.
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